octobre 27, 2004

Y'a de l'eau dans le vase

Quand on se noie, ce qui nous maintient la tête hors de l'eau, c'est l'eau.
ACcRoc


Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été hostile à l’élément aqueux. Ce n’est pas un choix personnel, je veux dire : il y a quatre éléments, bon, inutile de revenir là-dessus. Moi j’ai rien contre.



La terre je marche dessus, admettons, et depuis que j’ai quitté l’école ça ne m’amuse plus tellement de me rouler dedans, mais je dirais qu’entre la terre et moi, il y a une estime réciproque, voilà, nos contacts sont plus ou moins espacés, mais en général on se juge pas. L’air, ma foi, ça va ça vient, j’essaie d’en éviter les courants, j’ai la gorge fragile, mais l’un dans l’autre nos rapports se passent plutôt bien, et puis tout le monde le dit, hein : sans air, on ne respirerait pas. Ce qui, soit dit en passant, serait peut-être reposant. Bon, sinon vous avez le feu, alors le feu c’est déjà plus ennuyeux, comme truc, ça. Le feu ça peut être très très utile, il suffit de voir comment un fumeur est emmerdé quand il a paumé son briquet, et en même temps mourir brûlé dans une maison qu’on n’a pas fini de payer, c’est un peu con.





















Reste l’eau, donc. Le nœud du problème. Enfin, de mon problème, hein, entendons-nous bien. Je ne sais pas trop d’où ça me vient, ce souci avec l’eau… J’avoue d’ailleurs que j’en consomme abondamment, et sans grande crainte, à part celle d’avaler de travers. Mais attention : je ne bois de l’eau qu’avec la pleine conscience de ce que je suis en train de faire ! Je peux réagir extrêmement violemment (c’est-à-dire en secouant la tête et en agitant les bras d’une façon très ridicule) si je me trouve forcé par un tiers, qu’il soit providentiel ou pas, à ingurgiter par surprise ne serait-ce que quelques centilitres de liquide. Boire un verre, oui ; boire la tasse, non !

















Toute étendue d’eau, même la plus limpide, la plus transparente, la plus publicitaire du monde, est pour moi une menace. Comment faire confiance à un élément qui fripe autant la peau des doigts ? Comment croire à une chose aussi changeante, ne serait-ce qu’au niveau de la température ? Quand on y entre elle est froide, mais après elle est bonne, et puis au bout d’une heure (ou moins si on ne bouge pas), elle est re-froide… N’importe quoi ! On ne me fera pas gober que ce machin est bon pour la santé. Je veux bien me tenir propre, mais prendre du plaisir à me baigner, il ne faut pas exagérer.


























Évidemment, je ne sais pas nager. Ce n’est pas faute d’avoir essayé : en CM2, les élèves qui ne voulaient pas se mouiller étaient jetés au milieu du grand bain par un ancien militaire qui aboyait tout ce qu’il savait (c’est-à-dire pas grand-chose). C’est avec ce genre d’expériences que je me suis aperçu de la différence qu’il y avait entre boire de l’eau de son plein gré et en avaler par obligation. Si l’on omet le chlore, on ne peut pas dire que ce soit vraiment le goût qui change : c’est plutôt les doses qui sont un peu plus difficiles à mesurer dans l’urgence. Donc, des tasses, j’en ai bu, merci : je sais que je n’aime pas. Même à la mer, hein, attention ! Je veux bien que le sel relève le goût, mais là c’est un peu too much. Je ne sale jamais autant mes aliments, moi…





















Les rapports que j’ai avec l’eau sont donc purement utilitaires. Je la bois et je me lave. Oh, bien sûr, comme tout le monde j’ai connu les vacances à Pornic, à la Turballe, à Noirmoutier… J’ai mis les pieds dans l’eau jusqu’au cou, j’ai joué avec les vagues (qui se jouaient de moi), je me suis esquinté le gros orteil sur des rochers coupants, j’ai même fait semblant de savoir nager en espérant avoir une chance de berner la blonde aux seins nus qui de toute façon regardait ailleurs, j’ai ressenti avec effroi sur ma peau l’odieuse sensation du mélange eau-sel-sable se solidifiant peu à peu, tout cela je l’ai expérimenté. J’en parle en connaissance de cause. Vous ne m’aurez pas sur ce coup-là. Maintenant, lâchez-moi les tongs, je rentre à l’hôtel.

Raphaël Juldé,
Palindrome-les-Bains, 27 octobre 2004.


audiloop: Johann Johannsson - odi et amo

octobre 05, 2004

PALINDROME, terre de bons contrastes

Pour tout ceux qui savaient déjà, et ceux qui ne vont pas tarder à savoir.
ACcRoc





Le Palindrome est un lieu de passage : on transite par le Palindrome, on n’ose pas s’y arrêter. Le Palindrome est coincé, bloqué, compressé, mis en boîte par Rennes et Le Mans. Le Palindrome ne manque pourtant pas d’air. Le Palindrome a du poumon, de la verdure, de l’oxygène à revendre. Les artères du Palindrome, vers midi : les voitures circulent, tous phares éteints, la vitre ouverte, l’autoradio à fond, feux tricolores, on baguenaude avant d’aller trimer, « ouais j’suis sur mon portable là », on est serein, on est décidé, on va s’inscrire à l’ANPE, on a confiance en l’avenir, nos enfants naîtront à la Polyclinique du Maine, ou à l’hôpital des Fourches, et travailleront chez Lactalis (on mangera du fromage tous les jours), on ne voit pas le jeune piéton passer, juste à la sortie du Collège Jacques Monod, on l’écrase, on continue la route, mine de rien, l’autoradio à fond, on a le pied lourd au Palindrome, on est comme les Futuristes italiens : on aime la vitesse.

.













Le Palindrome des beaux quartiers : des avocats, des architectes, une femme en instance de divorce parce que son mari ne la bat plus, qu’il lui fouettait les fesses autrefois, qu’il lui tirait les cheveux et lui foutait des gnons et qu’elle aimait bien ça. Les quartiers résidentiels, des fils uniques, de France Inter, du Nouvel Observateur et du supplément culturel et hebdomadaire du Monde. Le Palindrome des cités-dortoirs, de la masse laborieuse, de Skyrock, des ouvriers, des joggings, de l’alcool mauvais, une femme en instance de divorce parce que son mari la frappe. Le Palindrome mélancolique : ruelles désertes, pavés qui se détachent de la chaussée, décorations de Noël, mouettes égarées, apeurées. Le Palindrome nocturne : bars enfumés, bières que l’on vomit auprès des poubelles propres, l’indécrottable troquet de Martine. Le Palindrome underground : rencontres éthyliques en fins de soirées sous les lampadaires, le tilt du flipper au loin, parties gratuites, fanzines de mauvais goût. Le Palindrome aristo, dans le jardin de la Perrine, endimanchés ils circulent dans les allées et donnent à manger aux chèvres en discutant politique, otages, impôts, football… ils pèsent chacune des phrases qu’ils prononcent et qu’ils espèrent définitives, indiscutables. Ça parle beaucoup au Palindrome, ça glose à satiété, ça théorise sans compter, ça parle comme une opération chirurgicale : à cœur ouvert, ça en sait des choses, sur le monde, la vie, les femmes… « La guerre 14-18, elle a bien commencé en 1916, non ? ».


.
















































.



















On s’ennuie ferme au Palindrome, alors on écrit des romans (on attend les éditeurs : on a l’habitude d’attendre au Palindrome, le Palindrome est une salle d’attente, sauf que personne ne viendra jamais vous chercher : « Monsieur Zukry, on vous attendait ! Quel plaisir ! » - c’est une phrase que vous n’entendrez jamais au Palindrome), on compose des morceaux, on prend des photographies, on joue la comédie, on prend tout au tragique, on prend des risques : on s’expose aux yeux, aux oreilles, aux sens des autres, les étrangers, les « ceux-qui-ne-vivent-pas-au-Palindrome ». On ne vit pas au Palindrome, on peut y naître, à la limite, on peut y mourir aussi. On y meurt souvent d’ailleurs, à la pelle : c’est une occasion rêvée pour figurer dans le Courrier de la Mayenne.






































On a l’esprit rural au Palindrome, on a de la boue sous les pieds, on pue le crottin sous les bras, on bouffe les pissenlits par la racine, on se moque des Parisiens, on est hautain au Palindrome, on se croit malin, on est en retard sur tout parce qu’on est méfiant, on ne fait pas confiance à la première mode venue, on est un peu aigri, un peu vieille France, on a des champs à la sortie de notre ville, on a des vaches, tellement, qu’on y fait jamais attention, on a des tracteurs devant la préfecture qui déversent de la merde, ou du lait (les bons jours), on écoute de la House, on est branchouille (on sait qu’on a 10 ans de retard mais on est branchouille, on a fini par s’en convaincre), on est pantalon baggy, on est treillis, on est trendy, on est smart, on est ringard, on est cool, on est de droite, on est militant, on se laisse pas faire, on est pas les derniers à la déconne, on est futé, on est néo-conservateur, on est dans le théâtre expérimental, on est dans la musique électronique post-nucléaire, on est à fond dans le rock, on est show-biz, on est bisous dans le cou, on est trop dans le concept, on est has-been, on est dans la rillette, on est dans le pâté, on est dans l’art contemporain, on est dans la rue de la Trinité, on est dans la place ! (de la Commune), on est Ubu, on vibre au stade Francis le Basser, on mange dadaïste, on peint naïf, on est boulevard des Trappistines, on est allée Louis Blanc, on est Gerbault, on est Palace, on est capable d’écrire un paragraphe entier sans point final


Dj Zukry – 5 octobre 2004



.